Excisée à 7 ans, Anita raconte son histoire
Comme si c’était hier, Anita se rappelle de tout. Plus particulièrement, de son excision à l’âge de 7 ans. Âgée aujourd’hui de 29 ans, l’étudiante en sociologie a accepté de se confier « pour que son histoire alerte les parents et les dissuade d’enlever un don de Dieu à leur petite fille…
«Je ne permettrai jamais à mes enfants de subir ces atrocités. Je dis jamais». Anita lance ces paroles avec rage. Les poings serrés, le visage défiguré, l’étudiante en Sociologie semble lutter contre elle-même. J’essaie en vain de calmer mon interlocutrice. Après des mois de démarche, Anita a enfin accepté de m’accorder cette interview, afin, de me confier l’histoire de sa vie. Histoire qu’elle a confiée à une amie commune. Le récit de cette vie m’a toujours intéressé (je voulais publier ce billet le 6 février, à l’occasion de la journée consacrée à l’excision, mais je n’ai pas pu).
Accompagnée de sa grand-mère, Anita ne se doute de rien ce jour là
«J’étais très jeune à cette époque. J’avais 7 ans», me-dit-elle, le regard fixé vers un point imaginaire de l’horizon. Comme pour se donner du courage, Anita ouvre son sac à mains et sort un téléphone portable qu’elle manipule, l’air ailleurs. «J’étais en vacances dans le village de mon père, non loin de Figuil (Grand-Nord du Cameroun). Ma grand-mère, la maman de papa, m’a conduite dans une maison. Il y avait six petites filles assises sur des bancs, dans la cour. Elles étaient accompagnées des personnes plus âgées. Nous nous sommes assises près d’elles. J’entendais des pleurs et des cris à l’intérieur de cette maison. C’était comme si on tuait ces enfants», se souvient Anita. Étonnée, la fillette demande alors à sa grand-mère : «pourquoi elles pleurent, les petites filles. On coupe leurs têtes ?» Et mamie de rétorquer : « C’est rien Anita, on leur donne des médicaments». Même si la petite fille n’est pas pour autant convaincue, elle attend quand même son tour. «Quand les fillettes entraient dans la maison, elles ne ressortaient plus. J’entendais juste une voix de femme qui demandait au suivant d’entrer». Au fur et à mesure, la petite Anita se rend compte que son tour est proche. Elle se met alors à pleurer. «Je ne savais pas pourquoi je pleurais. Mamie a essayé de me consoler sans succès. Je suis donc entrée dans la maison en larmes. J’ai vu du sang, tellement de sang et devant moi, une femme tenait une lame de rasoir à la main. Son pied et sa robe suintaient de sang».
Anita s’arrête. Absorbée par les confidences, je n’ai pas remarqué que de grosses larmes roulent sur sa joue. A l’aide d’un mouchoir, elle essaie en vain de les contenir. Mais, sa peine semble immense. Je m’en veux alors de l’avoir forcé à réveiller ces vieux souvenirs. «S’il te plaît Anita, on peut continuer un autre jour», lui dis-je. «Non Josiane tu as demandé ces confidences depuis des mois. En plus, Carine (notre amie commune) m’a dit que tu voulais le mettre sur ton blog pour sensibiliser le monde. Cela fait plus de 20 ans que j’ai subi ces atrocités. Et des fillettes sont toujours excisées. Je dois me confier « pour que mon histoire alerte les parents et les dissuade d’enlever un don de Dieu à leur petite fille», me lance-t-elle d’un ton déterminé.
La honte de se dévoiler domine
On l’ôte son slip, ses chaussures et sa robe…elle s’évanouie ensuite
Les lèvres tremblantes, Anita continue son histoire. «Cette femme qui tenait la lame à la main s’est dirigée vers moi. J’ai voulu m’enfuir. Malheureusement pour moi, mamie était derrière moi. Elle m’a soutenue. Par la suite, on m’a ôté ma robe, mon slip et mes chaussures. Deux autres femmes, qui se tenaient derrière la femme à la lame de rasoir, m’ont écarté les deux pieds et maintenus. Quelques minutes plus tard, j’ai ressenti une douleur atroce entre les jambes. Le genre de douleur qui annonce la mort. C’était comme si je ne vivais plus. Je me suis évanouie».
Solitaire, Anita se sent trahie, souillée, salie
Anita suspend encore ses confidences. Cette fois ci, aucune larme n’inonde ses joues. Son regard est sec, mais inexpressif. Elle me regarde sans me voir. Je le sais. Je respecte son silence. Il dit tout sans rien dire. Anita fait surtout face à ses vieux démons. A son réveil, la fillette se retrouve à la maison. Elle ressent la même douleur entre les jambes. Elle va alors se confier à sa mère. «C’est normal Anita, on vient de faire de toi une femme», m’a répondu maman. Le père redit la même chose. La fillette qui jouait dans la cour familiale avec ses demi-frères et sœurs (papa a quatre épouses, ma mère est la 3ème) ne le fait plus. Quand elle ne fait pas ses travaux domestiques, elle est assise dans un coin, l’esprit ailleurs. De retour à Douala, la même attitude continue. «Je me sentais trahie, salie, souillée. Malgré mon jeune âge, je savais qu’on m’avait enlevé quelque chose. Je suis devenue une rebelle».
Une rebelle est née
Anita développe cet esprit de rébellion qui devient très vite sa marque de fabrique. Sa réputation en prend un coup. Les filles musulmanes sont posées, pas elle. Cette attitude décourage d’éventuels fiancés. «Du coup, papa s’est retrouvé avec une fille de 19 ans encore célibataire. Pour me punir, il a refusé de continuer à financer mes études, j’étais en classe de seconde». Un sourire apparaît sur ses lèvres, comme si elle se moquait encore de cette décision paternelle. Anita reste à la maison pendant un an, le temps pour elle de vendre les oignons pour payer ses études. Elle entre l’année suivante en première et depuis lors, elle vend les oignons durant les vacances pour financer ses études.
Comme l’Ambassadeur des Usa au Cameroun, Anita veut mener ce combat
L’école lui a appris une chose : «Je n’ai plus de clitoris. Par conséquent, je ne peux pas avoir de plaisir sexuel. Je ne saurais jamais ce que c’est. J’ai mis cette idée dans ma tête, c’est cruel, mais c’est ainsi», dit-elle, philosophe. La jeune femme n’a pas pu sauver ses deux petites sœurs et demi-sœurs, qui ont aussi été excisées. «Mais, je compte mener ce combat. Je suis entrain d’écrire un livre pour dénoncer ces pratiques et raconter cette histoire. Dans l’avenir, je compte créer une Ong ».
Comme Anita, plus de 5% des femmes Camerounaises subissent des Mutilations génitales féminines (Mgf). Selon la Commission nationale des droits de l’homme et des libertés, ces pratiques sont récurrentes dans les régions de l’Extrême-Nord et du Sud-ouest du Cameroun. Pour l’Ambassadeur des Etats Unis au Cameroun, Robert P. Jackson, ces Mgf provoquent des traumatismes psychologiques ; des risques graves de santé parmi lesquels le Vih et les complications obstétricales. Robert P. Jackson dit d’ailleurs qu’il est prêt à aider toutes les associations qui œuvrent dans ce sens. «J’’ai eu la chance de ne pas avoir le Vih-Sida. Malheureusement, plusieurs petites filles ont été contaminées lors de l’excision. Il faut mobiliser des forces de l’ordre en civile dans le Grand-Nord du Cameroun», soutient Anita.
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