Taxi-charrette, le porte-tout sénégalais
Comme devant une scène que l’on observe pour la première fois, je reste environ deux minutes sans bouger. Je regarde, toute étonnée. Un cheval marche le long du trottoir. Il est soutenu par une charrette deux-roues surmontée des planches où sont disposés quatre sacs. Un jeune garçon, la vingtaine, tient les rênes de l’étalon qu’il fouette de temps en temps pour le forcer à aller plus vite. Par moment, une voiture s’approche si près du cheval et on pense subitement qu’il y aura accident. Que non! Il n’y a pas d’affolement dans la foule qui semble indifférente au danger. Elle est comme habituée. Et je comprends pourquoi : un deuxième cheval arrive, un troisième, puis un quatrième…Tous partagent la chaussée avec les voitures. Je remarque surtout qu’ils transportent uniquement des marchandises, pas des hommes. Et je m’exclame : mais à Douala au Cameroun, c’est un porte-tout, notre pousse-pousse national, qui fait tout ce travail ! «Ici ce sont nos taxi-charrettes», m’explique gentiment un Sénégalais, tout heureux d’aider cette touriste émerveillée. Du coup, ma curiosité est en éveil. Nous sommes le lendemain de mon arrivée au pays de la Teranga, un samedi.
Deux jours plus tard, lundi, je me retrouve au quartier Sacré-Cœur III, en face de la boulangerie jaune de Dakar, l’une des multiples gares de taxi-charrette de la ville. Je suis en face de Faye Pape, 52 ans, paraissant 10 de plus. La peau brûlée par le soleil, preuve de ses 35 ans de conduite, les vêtements usés, le quinquagénaire m’explique, sourire aux lèvres, étoile teintée de tristesse dans le regard, sa vie de charretier. 35 ans qu’il écume les rues de Dakar, transportant gravats, bagages, ordures et toute sorte de marchandises.
35 ans que cet originaire de Mbabaye, village situé derrière Bambey dans la région de Diourbel, parcourt la ville, à raison de 750, 1000, 1 500 à 2 000 F.Cfa la course, pour venir en aide à ses nombreux clients. Le «vieux » comme l’appellent affectueusement ses collègues, m’explique, nostalgique, ses premiers moments.
«Mes parents n’avaient pas de voitures. Ils utilisaient les charrettes pour se déplacer, transporter les produits des récoltes et se rendre en ville. Je suis né en 1961, j’ai connu ce mode de transport. C’est plus facile et moins cher, de transporter ses marchandises dans des charrettes à Dakar. Les taxis coûtent plus chers», m’avoue le père de 13 enfants.
Et comme pour justifier ses dires, j’aperçois à quelques mètres, un charretier prêt à partir.
Ce lundi, Boubacar Samb transporte des casiers ordinaires. Une course conclue à 1000 F.Cfa. A 33 ans sonnés, il possède déjà son étalon acheté à 450 000 F au village Toubatou, il y a cinq ans. Boubacar m’explique que depuis 6 ans il est «officiellement» charretier. Un métier qui le permet de nourrir sa petite famille, constituée de sa femme Béninoise et de ses trois enfants. Boubacar n’aime pourtant pas ce métier mais il « fait avec». Il le cache d’ailleurs à ses enfants. «Je n’aimerai pas qu’ils soient charretiers demain. Ce métier ne mène nulle part, on survit juste avec. Je souhaite faire autre chose dans l’avenir», me confie-il dans un soupir, comme pour oublier ses heures de dur labeur. Il n’oublie pas la commune qui ne veut plus de taxi-charrette dans la ville. «On dit que ça salie Dakar, on veut nous envoyer ailleurs», me lance-t-il ; le regard perdu. Ils sont chassés par les autorités et leurs taxis confisqués. Il faut alors verser entre 15 000 et 50 000 F.Cfa d’amande. Mais Boubacar, comme de nombreux autres charretiers ne baisse pas les bras. «On a besoin de nous à Dakar. Nous transportons ce que les taxis taxent chers. Les clients nous encouragent dans cette lancée», dit-il convaincant, même si son sourire crispé démontre le contraire.
N’empêche, l’activité leur permet de vivre, même si les charretiers me parlent plutôt de survie. Et sur un coup de fouet, Boubacar, lance son cheval vers l’avant, vers l’accomplissement de sa course et la recherche des nouveaux clients. Et à Dakar, le vrombissement des moteurs se mélange au bruit des sabots des centaines de chevaux pour donner une chanson routière propre au peuple de la Téranga.
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