Taxi-charrette, le porte-tout sénégalais

10 avril 2013

Taxi-charrette, le porte-tout sénégalais

Comme devant une scène que l’on observe pour la première fois, je reste environ deux minutes sans bouger. Je regarde, toute étonnée. Un cheval marche le long du trottoir. Il est soutenu par une charrette deux-roues surmontée des planches où sont disposés quatre sacs. Un jeune garçon, la vingtaine, tient les rênes de l’étalon qu’il fouette de temps en temps pour le forcer à aller plus vite. Par moment, une voiture s’approche si près du cheval et on pense subitement qu’il y aura accident. Que non! Il n’y a pas d’affolement dans la foule qui semble indifférente au danger. Elle est comme habituée. Et je comprends pourquoi : un deuxième cheval arrive, un troisième, puis un quatrième…Tous partagent la chaussée avec les voitures. Je remarque surtout qu’ils transportent uniquement des marchandises, pas des hommes. Et je m’exclame : mais à Douala au Cameroun, c’est un porte-tout, notre pousse-pousse national, qui fait tout ce travail ! «Ici ce sont nos taxi-charrettes», m’explique gentiment un Sénégalais, tout heureux d’aider cette touriste émerveillée. Du coup, ma curiosité est en éveil. Nous sommes le lendemain de mon arrivée au pays de la Teranga, un samedi.

Un taxi-charrette- Par Josiane Kouagheu
Un taxi-charrette- Par Josiane Kouagheu

Deux jours plus tard, lundi, je me retrouve au quartier Sacré-Cœur III, en face de la boulangerie jaune de Dakar, l’une des multiples gares de taxi-charrette de la ville. Je suis en face de Faye Pape, 52 ans, paraissant 10 de plus. La peau brûlée par le soleil, preuve de ses 35 ans de conduite, les vêtements usés, le quinquagénaire m’explique, sourire aux lèvres, étoile teintée de tristesse dans le regard, sa vie de charretier. 35 ans qu’il écume les rues de Dakar, transportant gravats, bagages, ordures et toute sorte de marchandises.

Pape Faye devant son cheval. Par Josiane Kouagheu
Pape Faye devant son cheval. Par Josiane Kouagheu

35 ans que cet originaire de Mbabaye, village situé derrière Bambey dans la région de Diourbel, parcourt la ville, à raison de 750, 1000, 1 500 à 2 000 F.Cfa la course, pour venir en aide à ses nombreux clients. Le «vieux » comme l’appellent affectueusement ses collègues, m’explique, nostalgique, ses premiers moments.

«Mes parents n’avaient pas de voitures. Ils utilisaient les charrettes pour se déplacer, transporter les produits des récoltes et se rendre en ville. Je suis né en 1961, j’ai connu ce mode de transport. C’est plus facile et moins cher, de transporter ses marchandises dans des charrettes à Dakar. Les taxis coûtent plus chers», m’avoue le père de 13 enfants.

Et comme pour justifier ses dires, j’aperçois à quelques mètres, un charretier prêt à partir.

Boubacar sur son taxi-charrette. Par Mylène Colmar
Boubacar sur son taxi-charrette. Par Mylène Colmar

Ce lundi, Boubacar Samb transporte des casiers ordinaires. Une course conclue à 1000 F.Cfa. A 33 ans sonnés, il possède déjà son étalon acheté à 450 000 F au village Toubatou, il y a cinq ans. Boubacar m’explique que depuis 6 ans il est «officiellement» charretier. Un métier qui le permet de nourrir sa petite famille, constituée de sa femme Béninoise et de ses trois enfants. Boubacar n’aime pourtant pas ce métier mais il « fait avec». Il le cache d’ailleurs à ses enfants. «Je n’aimerai pas qu’ils soient charretiers demain. Ce métier ne mène nulle part, on survit juste avec. Je souhaite faire autre chose dans l’avenir», me confie-il dans un soupir, comme pour oublier ses heures de dur labeur. Il n’oublie pas la commune qui ne veut plus de taxi-charrette dans la ville. «On dit que ça salie Dakar, on veut nous envoyer ailleurs», me lance-t-il ; le regard perdu. Ils sont chassés par les autorités et leurs taxis confisqués. Il faut alors verser entre 15 000 et 50 000 F.Cfa d’amande. Mais Boubacar, comme de nombreux autres charretiers ne baisse pas les bras. «On a besoin de nous à Dakar. Nous transportons ce que les taxis taxent chers. Les clients nous encouragent dans cette lancée», dit-il convaincant, même si son sourire crispé démontre le contraire.

N’empêche, l’activité leur permet de vivre, même si les charretiers me parlent plutôt de survie. Et sur un coup de fouet, Boubacar, lance son cheval vers l’avant, vers l’accomplissement de sa course et la recherche des nouveaux clients. Et à Dakar, le vrombissement des moteurs se mélange au bruit des  sabots des centaines de chevaux pour donner une chanson routière propre au peuple de la Téranga.

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Commentaires

Serge
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j'ai été surpris par le chaos qui règne sur les routes de Dakar, il n'y a pratiquement pas de feu, mais les chauffeurs semblent être guidé par un code implicite. à cela s'ajoute les charettes. il faut quand meme dire que si ces charettes sont présentes dans la ville c'est aussi parce que Dakar est une ville d'inégalité, avec beaucoup de pauvres; il semble que la ville soit destinée aux touriste bon payeurs.

nathyk
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Il y a bcp de feux ! ça dépend des endroits Serge.

nathyk
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Dakar n'est pas tant une ville d'inégalités que ça et la circulation n'est pas si anarchique ! compare la à Kinshasa pas à Rio mon Serge !

Emile Bela
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Texte vraiment simple et bien écrit.
J'ai rencontré ces Charettes au Burkina. C'est atypique aux pays sahéliens.
Bonne continuation.

tchango
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Intéressant! ça me donne l'envie d'aller visiter. C'est tout ça qui fait le charme de l'Afrique. Courage! Fais le tour du monde et ramènes nous d'autres découvertes. J'aime bien la façon dont les choses sont narrées.

josianekouagheu
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Promis William. Merci de me suivre. Tu sais, je ferai vraiment le tour du monde

Abdallah Azibert
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Je sais monter au cheval, mais pas en ville

etiennebilly
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Je te retrouve, je pensais que ton inspiration était simplement Yaoundoise ou Doulaise mais non toujours elle est la cette fibre simpliste et captivante.

Et oui Dakar se sont aussi ses charrettes, et elles se déplacent au son du fouet sur leur peau (aché)....

etiennebilly
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Je te retrouve, je pensais que ton inspiration était simplement Yaoundoise ou Doualaise mais non toujours elle est la cette fibre simpliste et captivante.

Et oui Dakar se sont aussi ses charrettes, et elles se déplacent au son du fouet sur leur peau (aché)….

josianekouagheu
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Merci Etienne. Heureusement que j'ai eu l'inspiration. Heureusement....

Michel Théra
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ah Josiane! je vois bien que ton instance a fini par accoucher de ce beau billet; Bravo pour le billet et pour la clarté de tes propos. Je suis vraiment content pour toi; et surtout big up à Mapote et Mylène.

josianekouagheu
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j'ai adoré parler de cet article tu le sais bien. Le taxi-charrette demeure une curiosité pour moi.

Madigbè Kaba
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Re-comment. Bel article sur les hommes-charettes-chevaux. Apparemment chez vous, ce sont les chevaux. Chez moi en Guinée, ce sont plutôt les ânes. Les chevaux sont rares pour être un moyen de transport. T'as su bien décrire cet aspect important de Dakar.

Arouna
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Très simpa l'article. D'habitude, les charrettes sont interdits de circulation dans le centre ville comme le quartier huppé de Dakar Plateau.

Mylène
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Tu as vraiment du talent. Je le sais pour t'avoir lu, mais aussi parce que j'étais sur le terrain avec toi pour ce reportage. Tu ne lâches rien ! Garde ton enthousiasme et ton dynamisme, surtout ! J'ai hâte de lire tes prochains billets.

josianekouagheu
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Merci Mylène. J'adore faire cela tu sais. Et je garderai toujours mon enthousiasme, en tout cas je l'espère. J'ai aussi hâte de te lire

nathyk
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Superbe post plein de sincérité et sur une note poétique comme toujours. J'adore et j'en redemande !

Joe Ndzulo
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J’ai aussi été émerveillé par les taxi-charrettes de Dakar. Presque chaque matin lors de mon séjour, je me faisais réveiller par le son des sabots des chevaux qui frappaient sur le goudron de la rue. D’habitude, c’est le chant de coq qui me fait sortir du lit mais là franchement j’aimai entendre ce toc toc, toc toc, toc toc, toc toc… et regarder ce moyen de transport atypique (pour moi) ce déplacer à travers les artère de la ville.

Très bel article Josiane

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