9 enfants disparus au Cameroun: mon difficile retour de Bolounga
Mardi le 10 septembre 2013
Comme si les dieux s’étaient entendus avec ce beau climat qui inonde Douala, les nouvelles sont bonnes. Enfin, un peu teintées de tristesse. Sur les neuf enfants disparus au village maritime Bolounga, huit ont été retrouvés. C’est vrai, je vous mentirais si je vous disais que je ne suis pas contente. J’ai appélé Bolounga et on m’a confirmé la nouvelle. Le dernier enfant n’a pas été retrouvé. J’espère qu’il sera vivant. Mais, à travers le téléphone, j’ai perçu des cris de joie dans ce village plongé dans le tristesse depuis plus de 10 kours. C’était comme un miracle, après toute la peine que j’ai lu sur leur visage.
J’avais le coeur triste ce samedi-là, lors de mon voyage et ce dimanche matin à mon retour…
Ils ont disparu ces neuf petits enfants! Ils ont vraiment disparu. La réponse m’est apparue très claire ce matin, lorsque j’étais de retour dans ce car-cargo qui roulait à tombeau ouvert sur la route de Mouanko-Douala. Comme j’aurais voulu avoir une autre réponse, vivre une autre scène. Vous écrire un autre billet, plus joyeux, moins triste! Main non ! Rien n’était faux. J’étais allée au village Bolounga avec un espoir enfoui au fond de mon être : que ces informations sur la disparation des neuf enfants soient fausses. C’était très bête de ma part, je le sais.
Le Cameroun a perdu neuf enfants : cinq petits garçons et quatre petites filles. Ils ont disparu sans trace. Pas de chaussures, vêtements, jouets, objets quelconques retrouvés après plusieurs jours de fouille et de battues acharnées. « Vous allez à Bolounga ? Vous n’avez pas peur de disparaître ? », m’a lancé une Sœur, fervente croyante. J’étais encore dans une agence à Edéa, après quelques minutes de route de Douala. Je m’apprêtais à prendre le car pour le village. Bienvenu à Bolounga, le village des disparus (un nom de circonstance).
Itinéraire ponctué de tristesse…
Direction Bolounga donc. J’ai été accueillie par un paysage féérique : une forêt paisible, des oiseaux chantant à la gloire de ces reporters venus de très loin (peut-être), la Sanaga (le plus long fleuve du Cameroun) qui étendait sa force tranquille se déversait ce matin là au bord du village. Que c’était beau ! Mais, les regards des habitants m’ont fait oublier ce paradis sous les tropiques. Des regards larmoyants ! Comme une désillusion, j’ai compris : ils ont vraiment disparu ces neuf petits enfants. « Que Dieu m’entende ! S’il vous plaît, aidez-moi à retrouver mon fils ». C’était un cri, une peine, un désespoir proche de la fin. Elisabeth Abogo ne pouvait plus tenir. Des grosses larmes ruisselaient sur son visage si pâle. Mes yeux se sont embrumés. Je me suis retenue, au prix d’un immense effort, pour la calmer. Communiquer à cette maman qui n’a pas revu son fils, une force que j’étais loin d’avoir.
Ce petit matin du 30 août 2013, les enfants sont allés à la chasse aux escargots
Ce n’était pas tout. Joseph Dikanda est arrivé. Pas nonchalant, l’air visiblement ailleurs, pieds nus, vêtements déchiquetés. Il ressemblait à un fou. Que non ! Joseph a perdu six enfants. Cinq petits fils et un fils. Il pleurait. Ses yeux avaient rougi. Je ne savais comment consoler ce papa dont le regard recherchait pourtant quelque chose en moi. Quoi ? Pas une compassion en tout cas! Non, une réponse. « S’il vous plaît, aidez-moi ». Pour la toute première fois de ma vie, je n’avais même pas en pensée, une réponse virtuelle. Ma mémoire refusait de réfléchir. Joseph m’a alors tout raconté. Il m’a conté l’histoire de ce matin du 30 août 2013 que le Cameroun n’oubliera probablement jamais.
Les neuf enfants, âgés entre 6 et 12 ans, sont sortis ce jour comme d’habitude pour la chasse aux escargots. Au village, tous les enfants le font. Il était 9 heures. Munis des sacs et des bâtons, ils sont entrés dans le brousse, par une petite piste. A 16 heures, les bambins n’étaient pas de retour. « Souvent, ils ne font même pas une heure en forêt », m’a lancé ce papa né en 1955, l’air perdu. Inquiets les habitants ont commencé des fouilles. La forêt a été fouillée sans succès ! Et depuis, ils ne sont plus jamais revenus. Des soldats sont partis de partout au Cameroun, des forces d’élite, spécialistes de ces cas pourtant. Les fouilles n’ont pas abouti. « Où sont-ils ? Que font-ils ? Sont-ils perdus ». Joseph pensait que je pouvais avoir la réponse. J’aurais donné ce que j’ai de plus cher pour répondre à ces questions. Je n’avais pas de réponses chers lecteurs.
Bolounga vit depuis dans la peur…
« Ma petite fille est où ? ». La grand-mère Marie Kotto me l’a demandé d’un ton désespéré en agitant ses bras décharnés vers moi. Elle élève sa petite fille Corinne, 12 ans, depuis la mort de sa fille. Personne n’avait la réponse au village. D’ailleurs on a peur de tout ici. On ne sort plus n’importe comment comme avant. On ne part même plus en mer chercher le poisson qui permet pourtant au village de vivre. J’ai passé nuit à Mouanko, à quelques mètres de là. J’ai fait des rêves les plus bouleversants de ma vie. Le matin, dans le car-cargo, la tristesse était la même que la veille.
Mon voyage de retour était difficile. Je voulais rester et partir en même temps. Bolounga a perdu ses neuf enfants. La peur y plane ! Où sont-ils ? Je ne veux pas penser au pire !
(J’espère que le dernier enfant sera très vite retrouvé et que la paix retombera sur ce village jusque-là très calme!)
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