De Douala à Abidjan, la mort nous guette aux Urgences
« Je veux devenir médecin pour sauver des vies humaines ». Lorsque j’étais petite, mes ami(e)s, qui rêvaient pour la plupart de porter la blouse blanche, se justifiaient ainsi. A l’époque, ils se prenaient pour des petits « Jésus », des futurs héros et héroïnes de notre société. Tous voulaient devenir le bon médecin, celui qui sauve le malade, même le plus pauvre. « Je ne veux pas être comme ces médecins qui laissent mourir les malades parce qu’ils n’ont pas d’argent », me juraient-t-ils, la main sur le cœur. Certains sont aujourd’hui des étudiants en médecine. Seront-ils ces meilleurs médecins tant rêvés ? Je ne suis plus très sûre de la réponse.
Je ne veux pas être pessimiste, mais, en parcourant les urgences des hôpitaux de Douala, ma ville, des histoires me donnent des frissons.
« Mon petit frère de neuf mois s’était évanoui. Il respirait à peine. Maman et moi l’avions conduit à l’hôpital en pleine nuit. Je pensais qu’il allait mourir. Aux urgences de l’hôpital, on nous a demandé de payer 11 000 F. Nous avions seulement 8 000 F. Les médecins ont refusé de prendre l’argent. L’infirmière nous a dit : ‘‘si vous voulez, restez là et votre fils va mourir’’. Elle ne s’occupait même pas de nous ».
J’ai rencontré Anita dans un hôpital public à Douala. La jeune fille âgée de 21 ans m’a confiée son combat pour sauver son petit frère. Cette nuit-là, elle est sortie de l’enceinte de l’hôpital, les pieds nus, malgré l’heure tardive, pour aller chercher les « 3000 F » qui manquaient. L’argent est revenu à temps pour sauver son petit frère.
« Sans argent, sans soins »
Plus loin, c’est Christelle qui m’a parlé de sa grande sœur qui se tordait de douleurs aux urgences. On avait diagnostiqué une appendicite. Il fallait l’opérer. Mais, la famille n’avait que 150 000 F au lieu des 200 000 F demandés. « Ce matin-là, il n’y avait pas d’argent. On cotisait. On appelait la famille. On a pu réunir 150 000 F que le service des urgences n’a pas pris. Ils voulaient la somme complète. Ma sœur est entrée au bloc opératoire en pleine nuit. J’ai retenu ceci : ‘‘sans argent, pas de soins’’ », a conclu la jeune étudiante en histoire.
J’ai rencontré des personnes qui ont vu mourir leur papa, maman, frères, sœurs, tantes, oncles, proches aux urgences, faute d’argent. J’ai vu de mes propres yeux (ce sont des cas personnels), des malades mourir parce qu’après un accident, on les a conduits à l’hôpital. On n’a pas pris soin d’eux parce qu’il n’y avait pas d’argent. Ils s’étaient alors vidés de leur sang et avaient rendu l’âme sur place. La famille était arrivée trop tard, avec l’argent nécessaire. J’ai vu une femme enceinte, mourir aux urgences parce que son mari, en mission de travail, est arrivé trop tard avec l’argent nécessaire pour l’opération. « Vous auriez dû la soigner. Je n’aurais pas fui avec votre argent », avait-il lancé, la voix pleine de colère, le visage ruisselant de larmes.
J’ai vu, entendu, vécu, des cas…
Je pensais comme toujours, qu’ailleurs était mieux que chez nous. Hélas ! Lors de mon récent séjour en Côte d’Ivoire, j’ai compris que la mort nous guettait aux urgences, même au pays des éléphants.
Avant d’y aller, j’avais déjà entendu parler de l’affaire Awa Fatiga, ce mannequin ivoirien décédé aux urgences du Chu de Cocody par manque de soins. Certains disaient qu’elle était morte parce qu’elle n’avait pas assez d’argent pour payer ces soins. Lors de l’enregistrement « en plein air » de l’émission Priorité santé de Radio France internationale (Rfi), auquel j’ai assisté en tant que spectatrice, la ministre de la Santé et de la lutte contre le Sida ivoirienne était présente. Elle avait expliqué sa version des faits. Et d’après les témoignages des uns et des autres, j’ai compris que la situation ivoirienne n’était pas si différente de celle du Cameroun.
Des racketteurs aux urgences qui marchandent des services diverses. Au Cameroun, même le brancard, denrée rare, est payant. Des médecins qui ne font pas leur travail. Et encore, ces patients qui décèdent par manque d’argent et leurs proches qui en sortent traumatisés. La ministre a même dit ce jour qu’elle faisait des visites surprises pour surprendre ceux qui ne font pas leur travail. Près de moi, un homme ne cessait de lever la main pour réclamer la parole. Des blogueurs béninois, assis tout près, lui disaient qu’il était arrivé trop tard car il fallait s’enregistrer pour poser des questions au ministre et autres.
« Mais pourquoi suis-je arrivé en retard ? Je devais raconter comment mon père est décédé dans un hôpital à Abidjan parce que je n’avais pas d’argent à l’instant pour payer ses soins. Je devais appeler mes frères pour qu’on cotise. L’argent est arrivé trop tard. J’ai tellement de cas à raconter. Plusieurs de mes amis ont vécu des situations pareilles. J’avais tellement à dire », se lamentait-il.
« Tu sais, le pouvoir c’est de l’argent. Avant, des médecins travaillaient pour le bonheur des malades. Mais aujourd’hui, l’argent vient avant tout. C’est le 1er patient. On dit que l’hôpital n’est plus la charité. Même à l’église, on ne joue plus au mendiant », a conclu un ami ivoirien.
NB : malgré ces cas des médecins véreux, intéressés uniquement par l’argent, je pense qu’il y a encore de bons médecins dans nos hôpitaux. Je pense à ceux qui pensent toujours que l’être humain « vivant » et en bonne santé n’a pas de prix. Merci à ceux qui se reconnaissent !
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