Immigration : comment des parents camerounais deviennent SDF
Mon voisin était nu. Nu comme un ver. Nu comme le jour de sa naissance, je vous le dis. Il pleurait à chaudes larmes. C’était d’ailleurs la première fois de ma vie que je voyais un homme adulte et normal – en dehors des fous bien sûr – dans cette situation, en pleine rue de Douala au Cameroun.
Les autres voisins qui avaient accouru essayaient de le calmer, sans succès. Je croyais qu’il avait perdu un proche. Mais, il gémissait à chaque fois : « Je suis mort. Je suis mort », un peu comme Harpagon, le célèbre personnage de L’Avare, pièce théâtrale de Molière. Comme lui, il avait perdu toute sa fortune, pas son « or », mais ses deux maisons, fruit de 32 années de dur labeur. Mon gentil voisin quinquagénaire s’était fait arnaquer en voulant envoyer son fils poursuivre ses études en Angleterre. Pour cela, il avait mis ses deux logements en garantie pour une durée de cinq ans. Il avait récupéré 10 millions de F.Cfa et en avait confié huit à un monsieur qui devait faire voyager son fils. Malheureusement, ce monsieur s’était avéré être un escroc et son numéro de téléphone sonnait « indisponible » depuis.
Voir ce papa de six enfants dans cette situation, devenir en l’espace de quelques heures un Sans domicile fixe (Sdf), m’a poussée à faire une enquête sur ces « réseaux frauduleux de voyage ». Et au cours de mes recherches, j’ai compris comment, armés des rêves de l’eldorado occidental, dépassés par le chômage de plus en plus croissant au pays, des parents camerounais étaient prêts à tout pour faire voyager leurs enfants, quitte à devenir Sdf.
Comment ils deviennent sans domicile…
Les traquenards : ces parents font faire des passeports au double de leur prix, voire au triple. A la fin, certains s’avèrent être des faux, juste parce qu’ils veulent faire vite et ne pas faire les rangs devant les services adéquats. Il faut alors refaire le dit passeport. Juste après, il faut entamer les « papiers proprement dits ». Et surtout, tomber sur la personne qui « a le vrai réseau », cette personne qui vous dit, pince-sans-rire qu’il connaît tous les ambassadeurs, toutes les ambassades, qu’il y entre comme chez son grand-père au village. Pis, que ces diplomates sont ses « amis intimes ». Et si vous doutez, il vous lance avec preuves à l’appui :
« J’ai fait voyager des centaines d’enfants dans tous les continents. Ils sont aujourd’hui des ingénieurs, grands docteurs… Les blancs ne veulent plus leur laisser partir ».
Et vous, pauvres parents, habités par ce rêve, vous lui offrez votre fortune sur un plateau en or. Il vous réclame alors encore et encore de l’argent, pour des documents virtuels. Vous ne vous rendez même pas compte de votre état de pauvreté extrême. Si cette personne ne disparaît pas, vous vous rendez compte à la fin, au moment de l’obtention du précieux sésame qu’est le Visa, que rien n’a réussi. Et vous, vous avez tout vendu, même vos maisons. Vous êtes un Sdf.
Il y a de cela quelques jours, l’histoire s’est répétée de la pire des manières dans mon entourage. Une proche est aujourd’hui sans domicile. Elle voulait envoyer sa fille « se chercher en France ». Pour limiter ses pertes, elle est allée à Yaoundé faire le passeport. Malheureusement pour elle, malgré la présence de quelques policiers qui se tiennent devant la direction de ce service à la province pour dissuader des éventuels malhonnêtes, des escrocs l’ont approchée. Comme toujours ils ont dit :
« C’est pour faire le passeport madame? Je peux vous le faire en deux jours. Ça vous intéresse ? »
Moi je n’avais pas cédé à la tentation lorsque j’étais venue pour faire le mien. Mais elle si, comme de nombreuses personnes d’ailleurs. (Le ministre des Transports, Robert Nkili, dit pourtant lutter contre ces escroqueries !).
Ils ont bien fait le passeport en deux jours. Et vu cet exploit (pour elle bien sûr), elle leur a demandé s’ils pouvaient l’aider à faire le reste des papiers. Et ils se sont frotté les mains. Conséquence : elle a perdu sa maison, celle que son mari lui avait laissé à sa mort en 2004. Et aussi, une dette d’un million trois cent mille F.Cfa (1 300 000). Elle n’a plus de lieu où dormir avec sa fille nantie d’une licence en lettres.
Pourquoi prennent-ils tous ces risques ?
Tout simplement parce que ces parents vivent dans la peur des échecs. Pour faire voyager leurs enfants, ils préfèrent se fier aux « hommes des réseaux », plutôt qu’aux services des ambassades. Et la fin est à 85% catastrophique.
« Mon enfant ne peut pas m’en vouloir. J’ai tout fait« , se consolent ces parents, désormais à la rue. Mais le jeu en valait-il vraiment la chandelle ?
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