Mr le président, en jouant avec la jeunesse, vous fabriquez des apprentis sorciers
Bonsoir Mr le président!
Comme j’aurais bien voulu vous souhaiter bon anniversaire, le cœur léger. Un peu comme une fille le souhaite tout en sourire à son papa. Vous avez 81 ans aujourd’hui. L’âge de tous les rêves. L’âge de la raison. L’âge de la joie absolue. Qui ne serait pas content d’atteindre cet âge ? Quel enfant ne crierait pas sur tous les toits du monde entier que son papa, grand-papa, arrière grand-papa a 81 ans ? Plus d’un demi-siècle. C’est une joie immense. Mais êtes-vous heureux ? Je ne saurais répondre à votre place. Ce n’est pas l’objet de ma lettre. Dans un pays honnête, bien dirigé, dans un pays sans corruption, je vous aurais envoyé une carte pour vous souhaiter bon anniversaire. Je sais qu’elle se serait perdue dans de nombreuses autres. Mais au moins, je l’aurais fait avec joie. Si seulement… Si… Trêve de parenthèses.

Mais, Mr le président, nous sommes au Cameroun. Le pays de tous les déboires. Le pays des déceptions. Le pays des mensonges. J’ai décidé de vous écrire. Je ne suis pas à la solde de votre parti politique, encore moins à la solde de l’opposition. Qui suis-je ? Ça n’a pas d’importance. D’où viens-je ? Non plus. Mais, ce que j’ai à vous dire est par contre important. Pour moi bien sûr. Je ne saurais parler à la place des autres. Cela fait plus de 72 heures d’horloge que j’ai suivi votre traditionnel message à la jeunesse. C’était le 10 février 2014. Comme chaque année, j’ai collé mon oreille à mon poste récepteur pour ne pas perdre vos paroles. L’année dernière à la même heure, je vous écoutais. Après vous avoir écouté, j’avais juré de ne plus jamais écouter. J’étais pourtant encore là en 2014. Pourquoi ? Imaginez Mr le président!
A la fin de votre discours, j’ai lancé : mais de qui vous moquez-vous ?
Comment ? Relisez vos discours, Mr le président. Que des irrégularités. Ce que vous dites me fait sourire. Pas en vrai. Mais en faux. Le 31 décembre 2013, dans votre discours de fin d’année, rien n’allait au pays…. Comment ces choses se sont-elles transformées en moins d’un mois pour devenir si roses ? C’est vraiment de la magie noire. Au pays des apprentis sorciers bien sûr.
Mr le président, dans l’un de vos discours, toujours à la jeunesse, à moi parmi tant d’autres, vous parliez de la gratuité de l’école. Est-ce le cas ? Je crie non. Les parents paient l’étude primaire, rien que ça, à double prix. Si elle avait été gratuite, il y aurait moins de délinquants dans cette République. Rien n’est gratuit Mr le président : il faut payer les frais d’Ape. Les frais d’informatique. Et apporter même un banc. Voilà pourquoi dans les rues du pays, les enfants, à peine sortis de l’enfance, sont des enfants-chargeurs. Enfants-porteurs… Et deviennent plus tard ces bandits de grand chemin. Pour dire juste, ces apprentis sorciers. Pourtant, l’éducation, ça fait plus de 14 ans que vous nous l’avez promise . Si je ne bénéficie pas de l’éducation de base, le minimum, que deviendrai-je demain ? Un apprenti sorcier, bien évidemment.
L’année dernière, vous parliez aux motos taximen. Vous leur parliez de formation. Pour faire quoi, Mr le président? Ce métier ? Ce sont des bacheliers, des licenciés, des diplômés niveau Master I, II. Ils sont à bord de ces motos. Ils sont sous le soleil. Ils subissent l’escroquerie de vos agents. Ils ne maîtrisent pas la route. Pas plus tard que la semaine dernière, près de 10 d’entre eux ont perdu la vie rien que dans la ville de Douala. Faites le total pour une année. La formation n’a jamais eu lieu. Et curieusement (j’ai sursauté à votre écoute), dans votre discours, j’ai entendu parler de leur formation effective. Par quel miracle Mr le président? Vous êtes le président. Dans les rues, ces motos taximen étaient en colère après votre discours. Vous leur avez menti. Que deviendront-ils plus tard ? Des apprentis sorciers bien sûr.
Cette année, vous avez parlé de la création d’emplois. Je ne suis pas la seule à le dire. Mais, la réalité est loin de ce que vous nous avez raconté. Les jeunes souffrent. La formation n’y est pas. La corruption est devenue notre plaie. Elle sévit à tous les niveaux. Ce matin encore, mon voisin, qui est considéré au quartier comme le plus intello de tous m’a souri au passage. « Mais, de qui Paul Biya se moque-t-il ? », m’a-t-il lancé. Il jouait au ludo avec ses amis. Il n’est pas un oisif. Ce qu’il voit, il fait. Mais, le « job » ne s’obtient pas tous les jours. Le Cameroun, c’est comme les cailloux, me lancent-ils. En passant près d’eux, j’ai entendu leur langage : soutenu. Ils sont instruits. Ce sont les mêmes chercheurs d’emploi que je croise depuis des années. Que deviendront-ils plus tard ? Des apprentis sorciers bien sûr.
L’eau manque. La plus belle boisson au monde. Elle manque jusque dans les ménages, même pour les bébés venus au monde la veille. Que deviendront-ils demain. Eux qui sont abandonnés aux aurores par des mamans en quête du précieux liquide. Ils grandiront comme ça. En voyant la réalité. L’électricité ? Les futurs diplômés ne savent plus quoi faire. Certains échoueront à leur examen. Et demain, faute de moyens, deviendront des apprentis sorciers.
Il est tard. Au loin j’entends une musique indomptée qui brise la nuit. Des jeunes, assis dans un bar, essaient de noyer leurs déboires dans un dernier verre. Je ne juge pas. Au Cameroun d’aujourd’hui, chacun tire son épingle du jeu. Mr le président, 81 ans, c’est aussi l’âge de la réflexion. Nous voyons bien que les « choses bougent au Cameroun » ! En 31 années de règne?
Bonne réception!
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