S’il vous plait, je suis un orphelin du Sida, ne m’abandonnez pas !
« Tu sais, personne ne m’aime. Tantine me déteste. Elle dit toujours que je ne suis pas bien. Tout ce que je fais l’énerve. Tu penses que je vais aussi mourir comme papa et maman et aller au ciel avec eux ? ».
Sa petite main était dans la mienne. On marchait dans une cour au milieu d’autres jolies petites filles et beaux petits garçons. Elle a levé son regard innocent vers moi. Elle attendait une réponse. Et ma gorge nouée par le chagrin, par ces paroles graves sorties d’une si jolie bouche, m’empêchait de prononcer le moindre petit mot.
– « Tu penses que je vais mourir et aller au ciel ? Ce sera super hein ? Là je verrais enfin papa et maman et tantine ne pourra plus me détester. Tu penses que je vais mourir ? ».
Elle revenait à la charge. Elle insistait. Elle voulait une réponse de la bouche de l’adulte que j’étais, que je représentais à ses yeux. Mon regard s’est embué pour de bon. Que dire à une petite fille âgée d’à peine 8 ans qui tient de tels propos. Qui y croit ?

– « Mais non, tu vas vivre. Et puis, papa et maman qui sont au ciel avec Dieu te regardent et veulent te voir sur terre avec les autres petites filles comme toi. Ils veulent que tu sois heureuse », lui ai-je répondu, après quelques secondes de silence.
– « Tu crois ? Mais pourquoi tantine me frappait tout le temps et disait que j’allais mourir alors? », m’a-t-elle demandé une fois de plus, si candide, si étonnée que je dise autre chose que ce qu’elle croyait dans sa petite tête d’enfant.
Aucun son n’est plus sorti de ma bouche. Je l’ai câlinée. Je l’ai prise dans mes bras pour essayer de lui communiquer cette chaleur que je voulais à tout prix lui donner. C’était comme un signe de survie. Je voulais montrer, faire comprendre à cette jolie frimousse, que le monde n’était pas seulement fait des méchants. Que le monde avait des bonnes personnes comme son « papa et sa maman au ciel ».
Dans mon cœur et ma tête, des questions fusaient de toute part : est-ce ainsi que les orphelins infectés ou non par le Vih, dont les parents étaient décédés du Sida vivaient ? Ces petits enfants innocents, vite entrés dans un monde d’adultes, souffraient-t-ils tous de cette manière ? Pensaient-ils tous comme cette petite fille ? J’allais vite le découvrir, au fil de mon enquête.
Sa frêle silhouette m’a attirée comme un aimant au milieu d’une foule immense dans un marché. Il marchait et on le bousculait. Il est tombé et ce papa ne s’est même pas retourné pour le soulever. Le petit garçon s’est enfui lorsqu’un inconnu a voulu l’aider à se relever. Je n’ai même pas eu l’occasion de l’approcher. Si petit, il semblait déjà prêt à combattre contre le monde entier. Dans sa fuite, ses petits poings repliés semblaient dire stop à celui qui tenterait de l’approcher. Il était si frêle. Ses os se dégageaient presque du t-shirt qu’il portait.
J’ai alors remarqué une longue tache noire le long de son bras gauche. Tout avait cicatrisé. Mais, cette tache était comme une intruse dans ce corps d’enfant. Un peu comme le goût du sable dans un plat de riz.
J’ai voulu en savoir plus. J’ai voulu tout savoir. Sa « maman » (marraine) m’a demandé de jurer que je n’allais jamais citer le nom, lieu, indice sur leur vie (comme avec tous les enfants que j’ai rencontrés). J’ai accepté. Ce n’était pas suffisant : il me fallait écrire un engagement signé et je l’ai fait.
« Il a beaucoup souffert dans sa vie. Ses parents sont morts du Sida en l’espace de deux ans car sa mère est morte alors qu’il n’avait que deux ans et son père deux ans plus tard », confie la marraine. Elle explique qu’après la mort de ses parents, son « fils » a été diagnostiqué séropositive. Il a été confié à son oncle. Elle poursuit, la voix enrouée : « le jeune garçon était maltraité par la femme de son oncle qui craignait qu’il ne contamine ses enfants. Il dormait à même le sol humide. Elle lui a versé de l’eau chaude un jour sur le bras».
Après cet acte, le petit enfant alors âgé de cinq ans est recueilli par une voisine du quartier. « Elle me connaissait car j’étais membre d’une association qui venait en aide aux personnes infectées et c’est ainsi qu’elle m’a parlé de cet enfant. J’ai eu les larmes aux yeux. J’ai décidé de le recueillir. C’est ce qui m’a poussée à quitter Yaoundé pour Douala car je voulais avoir un nouveau départ avec mon ‘fils’», confie la femme de 42 ans qui avoue sans honte être une séropositive.
J’ai rencontré des enfants orphelins dont les parents étaient décédés du Sida. Certains ont été infectés, d’autres sains. La majorité de ces enfants ont été rejetés par leurs proches. Ils ont trouvé refuge dans les orphelinats pour fuir le regard de la société.
« Ne nous voilons pas la face. Au 21ème siècle, au Cameroun, les personnes vivants avec le Vih sont traitées comme des paria. Les enfants souffrent le plus car après le décès de leurs parents, ils n’ont personne pour les aider. Nombreux d’entre eux meurent avant l’âge adulte », m’ont confié médecins, infirmiers et conseillers.
Ces enfants, orphelins, infectés ou pas, ont besoin de notre amour. Faisons un tour dans ces orphelinats. Faisons un geste de charité. Jouons avec eux. Montrons leur que le monde est encore meilleur. Que le monde regorge encore de personnes honnêtes comme nous.
Chers lecteurs et lectrices, ce message :
Ne m’abandonnez pas, ne me fuyez pas parce que je suis un petit garçon, une petite fille qui a le Sida. Ne me battez pas parce que maman et papa sont morts du Sida. Je vous le promets, je serai sage. Je suis un enfant normal.
S’il vous plait, je suis un orphelin du Sida, ne m’abandonnez pas !
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